Repensons le travail et le lien de subordination !

Repensons le travail et le lien de subordination !

La Fédération CFTC Média+ a interrogé Mme Danièle Linhart, qui a accepté de nous dire en quoi le coronavirus a changé selon elle, au niveau du travail.

« Ce qui frappe dans cette situation si préoccupante, c’est que ressurgit avec force dans le travail le lien de subordination. 

Chaque salarié, dépendant des décisions de sa hiérarchie, est censé « obéir » à son supérieur hiérarchique, qui lui dit comment travailler. Cette subordination est plus ou moins dissimulée en temps normal, on parle de « management bienveillant », d’entreprise libérée…

Aujourd’hui, pendant cette crise, le lien ressurgit avec violence, dureté. Les salariés sont au service des dirigeants, qui peuvent tout leur imposer. 

L’histoire des congés imposés est très révélatrice de cette violence. Ces congés sont tout sauf des congés, mais ces jours sont imposés sous couverts d’un accord. C’est une manière unilatérale de discuter du temps de travail et de vie des salariés.

La question des heures supplémentaires est un autre exemple de cette volonté patronale d’avoir la main mise sur leurs collaborateurs et est très éloignée de l’idée de l’engagement citoyen des salariés.

Ainsi, les salariés sont là pour travailler, quoi qu’il arrive ! Et ce travail peut être source de conflit éthique, et être contraire au bien-être des consommateurs.

En tant que sociologue, je sais que ce lien de subordination est une vraie source de souffrance au travail, le salarié n’ayant aucun droit de définir la façon dont il va exécuter le travail. La subordination, domination absolue, permet le harcèlement et a comme effet, une moindre efficacité du travail, car il est pensé en dehors du salarié. Elle est dommageable à tout point de vue, mais elle est rarement critiquée, tout comme le contenu du travail. 

Les formes d’emploi non salariées (auto-entrepreneur, freelance…) sont actuellement touchées de plein fouet, sans revenu, ni contrepartie. Aussi, il faut renforcer le salariat, mais un salariat amélioré, sans subordination.

Ce que révèle également cette crise, ce sont les inégalités énormes entre les télétravailleurs (même si le télétravail n’est pas la panacée et peut être source de mal-être ) et ceux qui doivent prendre des risques pour travailler. Ce phénomène existe habituellement, mais il est amplifié du fait du virus. L’exposition est dangereuse pour toute une partie des travailleurs, qui sont ceux pour qui nous demandions lors des manifestations contre la réforme des retraites que soit prise en compte la pénibilité.

J’espère que cette crise permettra un nouveau regard sur le travail, qui fasse porter le débat social sur « à qui appartient le travail ? ».

Il faut réfléchir à la sortie de cette crise, sur des questions essentielles :

·        Qu’est-ce qu’on produit ?

·        Comment est-il produit ?

·        Ce travail est-il fait pour le bien collectif ou pour l’enrichissement d’une personne ?

Nous ne pouvons plus continuer à entourlouper les gens, la planète…La logique gestionnaire ne doit plus être la norme. Il faut repenser le travail, cette crise a montré les limites de la rationalité, des logiques économiques. Nous devons reprendre la main, la rentabilité ne doit pas être la seule logique. 

Nous devons mettre à profit cette pandémie pour repenser ce que doit être le travail, il ne peut plus être injuste, source de bun out, de souffrance, de mise en danger des gens. Relocalisons nos industries, produisons ce dont nous avons besoin. Plus d’obsolescence programmée, de gâchis, de chasse à la sur-qualité… Nous devons sortir de nos prismes, l’économie ultra libérale est une stupidité. Notre monde est une construction sociale, nous pouvons le changer, nous avons la capacité de déconstruire et de repenser, pour bâtir un autre monde, pour continuer à vivre ! »

Danièle Linhart est sociologue, spécialiste de l’évolution du travail et de l’emploi.

Elle est directrice de recherche émérite au CNRS. Ses thèmes de recherche: la modernisation des entreprises et les stratégies managériales, l’évolution du travail, les nouvelles formes de mobilisation des salariés et la place du travail dans la société.

Elle dénonce les nouvelles méthodes de management, qui entraînent des souffrances pour les salariés.