Droit du travail et RSE sont-ils compatibles ?

Droit du travail et RSE sont-ils compatibles ?

Professeur de droit à l’université de Strasbourg, aujourd’hui retraité, René de Quenaudon est spécialisé dans les droits sociaux fondamentaux, la régulation de la responsabilité sociale des entreprises, en droit des nouvelles technologies de l’information et de la communication appliquées au droit du travail, et en théorie du droit. Il a dirigé sept thèses et publié deux ouvrages aux éditions Pedon : La RSE saisie par le droit et Développement durable : mutations ou métamorphoses de la responsabilité ? Pour Le Lien, il s’interroge sur la compatibilité du droit du travail et de la RSE. Réflexions.

Qu’est-ce que la compatibilité entre deux choses si ce n’est la possibilité pour elles d’avoir une signification partagée, de répondre à des attentes semblables, de poursuivre des objectifs convergents ? Encore faut-il, au préalable, un commun dénominateur. Mais est-ce possible entre travail et RSE ?

Stricto sensu, le droit du travail est un concept forgé par la doctrine juridique ; il lui sert à circonscrire les règles de droit régissant les “relations de travail” dans le secteur privé. Mais le droit du travail n’est pas uniquement ce qu’en dit le monde académique. Il est aussi, pour le salariat, un récit de sueur et de sang, de revendications, de luttes et d’acquis sociaux. Nappé de l’idée de progrès social, ce récit conduit les salariés à rejeter tout licenciement, voire toute perte d’avantages, tant qu’il y a encore de la richesse à distribuer aux apporteurs de capitaux.

La RSE n’est pas née dans le champ du droit, mais dans celui des sciences de gestion. Cependant, le droit commence à s’en emparer comme en témoignent, par exemple, les lois françaises n° 2017-399 du 27 mars 2017 (devoir de vigilance) et n° 2019-486 du 22 mai 2019 (PACTE) ou encore, au niveau européen, la résolution du Parlement européen du 10 mars 2021 contenant des recommandations à la Commission sur le devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises (2020/2129(INL). Cela étant, la RSE est avant tout une démarche décidée par l’entreprise qui entend s’inscrire dans la durabilité. Cet objectif suppose qu’à la création de richesse l’entreprise associe équitablement ses parties prenantes, dont ses salariés, et respecte l’environnement. L’équité promue par la RSE englobe certainement le respect du droit du travail par l’entreprise. Celle qui le viole non seulement est en infraction avec la loi, mais également avec ses engagements RSE. De cela il ressort que, a priori, le droit du travail et la RSE présentent des traits de compatibilité.

La RSE, une opportunité au service du marketing ?

 Pourtant, dans les faits, la réponse est moins évidente. D’une part, trop d’entreprises, sous l’emprise de Kairos, ce dieu de l’occasion à saisir, conçoivent la RSE comme une opportunité au service du marketing et de leur image. Dans un tel cas, sévèrement dénoncé par le pape François (Laudato si, § 194 in fine), la question de la compatibilité ne se pose même pas puisque l’entreprise demeure en marge de la RSE. D’autre part et surtout, même lorsque l’entrepreneur croit en la RSE, sa gestion répond à une seule priorité : la création de valeur. Les autres intérêts en présence lui sont subordonnés et donc, si nécessaire, sacrifiés. Dans ce cas, même si l’entreprise viable respecte le droit du travail, les salariés licenciés ou perdant des avantages estimeront que la RSE n’est que pieux mensonge.

Il y a néanmoins des moyens juridiques qui peuvent rapprocher le droit du travail et la RSE. En voici quelques-uns. On songe au choix par l’entreprise du statut d’entreprise à mission, possibilité prévue par la loi PACTE, et, plus encore, aux modèles mutualistes ou coopératifs, aux entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS). On pourrait aussi conditionner les aides publiques au respect d’un cahier des charges RSE établi par l’État.