Discours d’introduction d’Anne Chatain au Forum « Les nouvelles formes de travail et leurs conséquences sur la santé » le 2 juin 2022

Discours d’introduction d’Anne Chatain au Forum « Les nouvelles formes de travail et leurs conséquences sur la santé » le 2 juin 2022

Je suis très heureuse de vous accueillir au nom de la Fédération CFTC MEDIA+ à cette nouvelle édition de notre forum santé et sécurité au travail.

L’édition de l’année dernière a rencontré un franc succès sur le thème de la souffrance au travail avec des spécialistes du sujet reconnus et cette année également nous aurons le plaisir d’accueillir des intervenants de grande qualité ainsi que des invités d’autres fédérations. Je salue la présence de nos collègues et amis de CFTC CADRES, Onno YPMA et Bernard HAYAT. Je salue également nos partenaires de La MACIF, de Sextant et de l’INRS.

Notre objectif lors de ces forums est de vous apporter un éclairage et des solutions concrètes dans vos vies de militants au contact des problématiques de terrain.

Les deux années que nous venons de passer dans un contexte sanitaires inédit et de travail en « mode dégradé », mais également les questionnements de nos représentants au sein de nos sections et de nos secteurs d’activité, ont fait s’imposer le sujet des nouvelles formes de travail.

Ces nouvelles formes de travail étaient pour beaucoup d’entre elles apparues avant la pandémie, car bien sûr elles sont inscrites dans une mutation globale technologique et numérique, mais elles ont été renforcées brutalement avec la nécessité de repenser les modalités de travail et les interactions au sein des entreprises. Je pense aussi en disant cela à nos représentants et mandatés qui ont dû s’adapter vite et repenser le travail syndical qui a « disrupté » en même temps que les temps de présence et l’organisation.

Les nouvelles formes de travail ont fleuri de façon disparate au sein des entreprises de nos secteurs d’activité, certains ont été exemplaires dans la réactivité, avec un déploiement du télétravail et des moyens afférents très rapide dans les firmes emblématiques des télécoms et du numérique. Pour d’autres cela a été plus balbutiant. Certaines entreprises a contrario ont dû continuer d’assurer les services qu’on a qualifié de « deuxième ligne » ou gérer la perte d’activité et le chômage partiel de longue durée.

Nous voilà maintenant dans le monde d’après, celui du « new normal », que d’aucuns espéraient frugal en énergie, moins impactant pour nos environnements, avec des activités porteuses de sens, et vertueux en matière de gestion humaine. Nous voilà surtout plongés dans une multitude de nouvelles modalités de travail dans un monde hybridé.

Evoquer ces nouveaux modes de travail fait immédiatement penser au télétravail, qui a concerné 41% des salariés durant le premier confinement (record historique) et qui, vous l’avez remarqué, est devenu magiquement et soudainement possible en 2020 pour de nombreux salariés, qui le demandaient sans succès auparavant… mais on a vu également apparaitre tout un florilège d’autres solutions : le nomadisme digital, le travail collaboratif, le travail en autonomie. La France n’est évidemment pas un cas isolé : le Guardian estime que dans le monde d’ici 2035 un milliard de personnes seront des nomades digitaux.

Une cohorte de nouveaux acronymes et autres délicieux anglicismes sont apparus pour nous aider à concevoir et conquérir ces nouveaux espaces : l’open-space (parfois à 100% comme j’ai pu moi-même en juger au nouveau siège d’Orange Bridge), le flex-office, le desk-sharing, le coworking (dont les espaces ont été multipliés par 3 en 2 ans sur le territoire français) et autres aménagements immobiliers innovants. Maintenant vous avez accès à un smart office avec des salles connectées, des assistants vocaux, un intranet et des réseaux performants, et des solutions de lightning design pour adoucir les mœurs en même temps que la luminosité ; avant c’est sûr le bureau était moins intelligent… soyez rassurés. A la fin de la journée vous ferez partie des initiés et vous serez incollables sur ce dialecte.  Le coworking semble « développer l’autonomie et la collaboration entre les équipes », et grâce au flex-office « les salariés nomades peuvent rythmer leurs journées en fonction de leurs besoins ». Je livre ces verbatims à votre réflexion. Je ne peux m’empêcher de me rappeler pour ma part les appels des collègues épuisés, confinés à domicile dans des conditions pas toujours optimales. C’était certes dans d’autres conditions familiales et personnelles. D’après le baromètre Malakoff Humanis sur le télétravail 66% des dirigeants pensent que le télétravail va se généraliser.

Notre relation au travail est certainement en pleine évolution. La mise en relation avec le travail est aussi en train d’évoluer avec l’essor d’autres formes d’emplois avec les groupements d’employeurs, le salariat partagé, le portage salarial et l’essor de l’externalisation des ressources.

On imagine tout de suite l’intérêt que peut y trouver l’entreprise en termes de réduction des coûts immobiliers. Mais ces nouvelles organisations ont des impacts sur plusieurs domaines. A tel point que l’OIT, le Sénat, l’Assemblée Nationale et le CESE se sont tous penchés sur leurs implications sur la loi, les conditions d’exercice et de contrôle de l’Inspection du Travail (puisque c’est un peu la fin de l’unité de lieu et de travail), sur l’extension de l’Accord National Interprofessionnel signé en novembre 2020 sur le télétravail, sur les travailleurs indépendants, la protection sociale des travailleurs de plateformes, la vulnérabilité des précaires et des seniors, les relations au travail, la désintermédiation de ces relations, la multiplication des contrats à durée déterminée (c’est devenu d’après la DGT la forme principale d’embauche) ou du travail temporaire mais aussi les négociations collectives et les conditions de travail et non des moindres le plan de santé au travail et de prévention.

Pour nous syndicalistes, ce sont autant d’enjeux nouveaux et mouvants qu’il faut mieux connaître pour pouvoir les appréhender et répondre aux collègues et salariés que nous défendons et accompagnons. J’en vois 4 principaux :

  • Celui de la santé au travail. L’OIT s’est inquiétée dans une étude la forte hausse de burnout chez les populations jeunes et les plus investies. Comme on pouvait le pressentir, travailler plus en autonomie génère aussi de l’isolement, un manque d’interactions sociales et de la perte de motivation, y compris chez les managers. Un collectif est à reconstruire pour que chacun puisse se sentir utile et apporter sa valeur ajoutée, une condition du bien-être au travail.
  • Penser les espaces et les lieux sera un deuxième enjeu pour la CFTC, pour nos collègues mais aussi pour favoriser notre action syndicale dans ces nouveaux environnements.
  • Troisièmement nous aurons, que nous le voulions ou non, à accompagner l’émergence de nouvelles compétences et nous aussi à nous former à la pratique des nouveaux outils de l’intelligence artificielle comme les plateformes collaboratives par exemple.
  • Enfin c’est dans notre savoir-être que résidera notre quatrième enjeu : faire preuve de bienveillance et de proximité relationnelle n’aura jamais été paradoxalement aussi important. C’est vrai aussi des négociations sur le respect des temps de vie, personnelle et professionnelle. Cela ne devrait pas nous décontenancer étant donné que c’est un de nos sujets phares.

D’après ce que préfigurent les managers et les experts RH, l’avenir est à la prise en compte de la personne, ses spécificités, ses talents, ses fragilités. La fonction RH devrait être renforcée et travailler sur l’inclusion des personnels et leur engagement dans un contexte « phygital ». Les attentes vis-à-vis du management ont changé : avant la pandémie, il devait être résolument agile et facilitateur et promoteur de l’intelligence collective ; aujourd’hui il doit faire du sur-mesure, manager par la care et encourager les compétences de « centrage », c’est-à-dire aider les salariés à gérer le temps, l’attention, le savoir-être, la gestion des priorités.   Tant mieux. Tant mieux pour les personnels, tant mieux pour la CFTC, mais vous en pressentez comme moi les dérives de fichage, de notation, d’externalisation. Bref nous devons comme toujours être les gardiens du temple, modérer l’inventivité de certains de nos dirigeants d’entreprises et border les négociations.

Je sais que vous trouverez tout au long de cette journée des sources de réflexion, un cadre juridique et des pistes d’action syndicale pour œuvrer efficacement dans ces nouveaux modes de travail.

Je souhaite à toutes et à tous un très beau forum.