7 questions à : Yann Leroy, directeur de l’IRT de Nancy et organisateur d’un colloque virtuel sur le droit du travail et le Covid-19

7 questions à : Yann Leroy, directeur de l’IRT de Nancy et organisateur d’un colloque virtuel sur le droit du travail et le Covid-19

La Fédération CFTC Media+ : M. Leroy, pourquoi un colloque virtuel sur le droit du travail actuellement ?

Yann Leroy : Pour différentes raisons. L’actualité le justifie, l’impact de cette épidémie est tout à fait réel sur le droit du travail, avec un certain nombre de mesures prises par le gouvernement par ordonnance pendant cette crise sanitaire.

Nous avons eu l’idée de faire un colloque virtuel, confiné mais ouvert, avec des universitaires, principalement dans le domaine juridique, français et internationaux, et des avocats, des juristes…

Le but : réagir à ce sujet d’actualité à travers des vidéos, chacun filmé chez soi. 22 interventions en vidéos sont consultables en ligne sur la chaine Youtube : https://cutt.ly/VtJ5TBO

CFTC Media+ : Pensez-vous que le droit du travail devient virtuel ?

Y.L : Ce seraitexcessif de dire que le droit du travail devient virtuel, il est bien réel, toutes ces règles existent et restent applicables, même avec le télétravail, les réunions de CSE en visioconférence, pendant la période de confinement.

L’intérêt de ce colloque est d’ailleurs de montrer que les règles doivent continuer à s’appliquer, que le droit du travail doit être respecté, car il protège, à la fois les salariés et les entreprises.

CFTC Media+ : dans la pratique, nous constatons que certaines entreprises essaient de faire signer des accords liés à l’ordonnance « congés » (Ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos), sans durée déterminée. Ces accords seront-ils requalifiés d’office ?

Y.L : Cette ordonnance prévoit que les dispositions dérogatoires sont applicables jusqu’au 31 décembre 2020. Aussi, même si un accord collectif ne donner pas de date de fin, ou prévoit une date ultérieure au 31/12/2020, ces mesures dérogatoires cesseraient d’elles-même à cette date. Si l’employeur continue de vouloir imposer des congés au-delà du 31/12/2020, sans le délai de prévenance d’un mois, les syndicats devront saisir les juges, qui constateront que l’accord est illicite.

CFTC Media+ : Que pensez-vous de cette situation que nous rencontrons ? Des salariés doivent poser leurs congés pendant cette période de confinement et leurs employeurs leur demandent dans le même temps de faire des heures supplémentaires.

Y.L : Un des dangers qui peut exister pendant cette période, c’est que les employeurs jouent avec la situation, en essayant de purger les congés (RTT, CET), d’effacer donc la dette sociale, tout en utilisant au maximum leurs employés. Les employeurs doivent savoir qu’ils pourraient être sanctionnés si leur demande de purger des congés n’est pas justifiée. C’est le rôle du CSE d’être vigilent, il doit être informé, le dialogue social doit rester actif.

CFTC Media+ : A l’issue de cette crise, ne va-t-on pas se retrouver avec des IRP amoindries ?

Y.L : Au contraire, la place du CSE et des syndicats, dans ces circonstances exceptionnelles, doit être remise en valeur. L’amoindrissement du rôle des IRP a déjà été entamé depuis plusieurs années, avec soi-disant plus de dialogue social mais moins d’élus. Forcément, ça fonctionne moins bien…

Or aujourd’hui, nous nous rendons compte que nous avons grand besoin d’un dialogue social efficient. La mission du CSE d’assurer, notamment, la sécurité et la santé des salariés est essentielle actuellement.

Le dialogue social est malheureusement contraint actuellement dans le fond et dans la forme.

La justification de l’urgence (qui donne moins de temps d’analyse aux IRP, des consultations par téléphone…) est galvaudée. L’urgence n’est jamais une bonne chose et l’utilisation de la visio-conférence pour les consultations doit être limité au temps de la crise sanitaire uniquement. Moins efficaces, moins pertinentes, moins propices aux échanges, ces visioconférences sont mieux que rien mais ne doivent pas perdurer. Et par téléphone, on discute sans se voir, on ne même pas savoir si l’interlocuteur est le bon…

Le temps de consultation et de réflexion restreint donne moins de possibilité au CSE de penser et d’analyser, cela doit cesser dès que la situation s’améliorera.

Les avis du CSE peuvent être rendues plus tard, mais l’urgence ne doit pas tout justifier. Il faut être vigilent afin que la crise ne soit pas une occasion de plus de changer la donne.

Il ne faut pas tout valider dans l’urgence, certains délais peuvent être pris. Les consultations doivent être pertinentes, avec le temps de comprendre et d’analyser correctement. 

CFTC Media+ : Faites-vous un parallèle entre les restrictions du droit du travail et celles de nos libertés de circulation en tant que citoyens?

Y.L : Pas directement mais les restrictions mises en place pour « faire face » à cette pandémie ont des liens entre elles que ce soit en droit du travail ou au niveau de nos libertés fondamentales. Il est, en tout cas, essentiel d’être attentif aux justifications de ces mesures (les mesures mises en place sont-elles adaptées et proportionnées à la situation d’urgence sanitaire?).

CFTC Media+ : Sur quels points voudriez-vous nous alerter ?

Y.L : Il faut être très attentif à la durée hebdomadaire de travail. Nous ne connaissons pas les secteurs d’activité qui vont être jugés « essentiels », et qui pourront déroger au temps de travail maximum. Plus la liste sera longue, plus cela sera risqué pour les salariés.

La limitation du temps de travail hebdomadaire est un élément essentiel de la protection de l’individu. 60 heures de travail par semaine, c’est beaucoup trop, le temps de repos amoindri ne permet pas de récupérer et cela peut exposer les salariés à une surcharge physique et mentale, à des dangers graves de santé.

En conclusion, j’aimerai citer Alain Supiot (juriste) : « Seul le choc avec le réel peut réveiller d’un sommeil dogmatique ». A force de vouloir faire des économies, nous nous prenons le mur en pleine face, nous vivons ce choc des réalités. Nos élites doivent en prendre conscience et les mots doivent être suivis d’effet. Il faudra arrêter la flexibilisation à outrance du travail, la solidarité doit être omniprésente, car, à cette crise sanitaire succédera sans doute une crise écologique, puis financière et ainsi de suite…

M. Leroy est agrégé des facultés de droit et professeur de droit privé et sciences criminelles à l’Université de Haute-Alsace. Il dirige par ailleurs l’Institut régional du travail de Nancy (Université de Lorraine) depuis 2013. Il a été président de la conférence nationale des directeurs d’Instituts du travail de 2017 à 2018.