Des réformes sociales qui patinent

Des réformes sociales qui patinent

Retraites, assurance chômage, travailleurs de secondes lignes…, le Gouvernement avait affiché des volontés de réformes tranchées, mais crise sanitaire oblige, il a dû revoir sa copie et ses prétentions.

Parmi les sujets d’actualités, se pencher sur les travailleurs des plateformes et sur l’application de l’ANI sur le télétravail.


Début février 2021, le Premier ministre Jean Castex et la ministre du Travail Élisabeth Borne relançaient les consultations auprès des centrales syndicales après une longue période de flottement sur les différentes réformes.

Nous vous proposons un décryptage des réformes en cours.

RÉFORME DES RETRAITES

Souvenez-vous entre décembre 2019 et février 2020, la France était en plein mouvement social contre la réforme des retraites, le mouvement social le plus important que notre pays ait connu depuis celui de 2010 sur le même sujet.

En ligne de mire, le régime universel par points et le nivellement de tous les régimes sur le même système où “un euro cotisé donne les mêmes droits”.

La CFTC, estimant qu’une énième réforme paramétrique ne devait pas apparaître comme une solution, s’était engagée dans la discussion avec l’ambition d’une équité de traitement des citoyens, une valorisation des carrières féminines et la reconnaissance des métiers pénibles. La Covid est (heureusement ?) venue interrompre une discussion qui s’enlisait, mais le Gouvernement affirme être attaché à cette réforme phare du quinquennat et souhaite relancer les négociations.


Entre temps, le principe du “quoi qu’il en coûte” du Président Macron dans le cadre de la crise sanitaire inquiète les partenaires sociaux, qui redoutent que la réforme des retraites serve de levier caché au remboursement des différents plans de soutien financier engagés.

Quoi qu’il en soit, la discussion ne peut reprendre en l’état : les différents critères de la réforme doivent être à nouveau étudiés avec une approche de long terme, dissociée des problématiques de protection sociale.

Une piste avait été évoquée : acter le principe d’une retraite par points dans la loi et en définir les paramètres d’ajustement plus tard en réunissant les partenaires sociaux… ou comment ne pas abandonner une réforme sans vraiment la mener au bout.

RÉFORME DE L’ASSURANCE CHÔMAGE

Elle était déjà dans les tuyaux en 2019. L’échec des négociations, lancées en janvier 2019, entre les partenaires sociaux, a abouti à la prise en main par l’État de la transformation de l’assurance chômage.

Deux décrets (n°2019-796 et 797), entrant en vigueur de novembre 2019 à avril 2020, prévoyaient initialement une série de mesures. Celles qui devaient être en application en avril 2020 ont été reportées plusieurs fois.

Madame Borne, la ministre du Travail, a présenté un état des lieux début mars 2021. L’essentiel de la réforme est reporté à juillet 2021, avec un consensus sur la réalité d’une période de crise particulièrement inadaptée à sa mise en œuvre.


Du point de vue de la CFTC, on note quelques avancées : le droit d’accès à l’indemnisation est maintenu à 4 mois (au lieu de 6) jusqu’à la fin de la pandémie et la sanction de l’abus de contrats courts par un système – complexe – de bonus malus reste d’actualité.


Des insatisfactions demeurent toutefois
L’accès à l’indemnisation après 6 mois de travail avec le maintien des droits rechargeables à 6 mois rendrait ces derniers totalement inopérants. Pour la CFTC, la dégressivité (appliquée au 9e mois au lieu du 7e mois prévu) n’a aucune utilité, n’ayant jamais prouvé son efficacité.

Malgré une avancée par rapport aux annonces de 2019, le calcul du Salaire Journalier de Référence, comprenant les journées non travaillées, reste problématique : il pénalise toujours les travailleurs les plus précaires, ainsi que le cumul emploi et allocation chômage. L’Unedic estime que 40 % des demandeurs d’emploi verraient leur allocation baisser en moyenne de 22%. Cela n’incite paradoxalement pas à la reprise d’activité.

Cyril Chabanier, président de la CFTC, a ainsi estimé que « l’idée de la réforme de l’assurance chômage était qu’en baissant les indemnités les gens retrouveraient plus rapidement un emploi. Mais pour ça, il faut qu’il y ait de l’emploi. Avec le nombre de demandeurs d’emploi qui ne cesse de croître, on voit bien que cette logique ne tient plus. »

RECONNAISSANCE DES SECONDES LIGNES

C’est un peu l’Arlésienne de la crise sanitaire. Les réflexions, à l’instar des nombreux débats publics actuels, sont lancées, mais bien malin qui saura ce qui en sortira et sera appliqué.

Il s’agissait – à la suite de l’évocation des secondes lignes dans un discours du Président Macron, et à la demande de nombreuses corporations et syndicats – de reconnaître les efforts fournis par les travailleurs qui, durant la période de crise sanitaire et plus particulièrement les périodes de confinement, ont été exposés et ont continué à maintenir l’essentiel de l’économie nationale.


Définir ces professions de deuxième ligne est délicat, elles ont concerné des secteurs très larges de l’économie (les premières lignes étant les personnels les plus exposés comme les soignants et les troisièmes lignes, les professions moins exposées comme les personnels en télétravail du tertiaire).


Plusieurs pistes ont été échangées pour assurer leur reconnaissance : les primes, les classifications dans les branches, la pénibilité notamment.


La négociation va certainement durer, avant que la question centrale ne soit tranchée : qui va assurer l’indemnisation et le volet concret de cette reconnaissance ? On imagine qu’il sera difficile de négocier ce point dans les entreprises alors que tant d’autres sujets restent en suspens.

Si la décision est prise de confier cette responsabilité aux branches, comment les inciter à négocier ? Le casse-tête n’est pas encore résolu…

PARTAGE DE LA VALEUR

Seule thématique de l’agenda social du quinquennat à ne pas avoir débuté pour le moment, elle a fait l’objet dans les années passées de plusieurs propositions de la CFTC.

Considérant que cette négociation ne doit pas se limiter à l’investissement et à la participation et qu’elle ne doit pas se substituer aussi aux augmentations obtenues lors des Négociations Annuelles Obligatoires, la CFTC attend des mesures complémentaires sur une valeur englobant les aides de l’État, les dividendes.


Les formes de partage pourraient aussi être polymorphes avec des abondements de comptes formation ou des fonds de secours aux salariés en difficulté, par exemple.


La réforme est tout de même attendue pour s’appliquer en 2021, en souhaitant qu’elle porte ses fruits bien au-delà.

TRAVAILLEURS DE PLATEFORMES

Début mars 2021, a été annoncé que les travailleurs de plateformes numériques pourront s’exprimer lors des élections professionnelles, même lorsqu’ils sont organisés en collectifs. Reste à en préciser le cadre électoral.


À la suite du rapport Frouin, les discussions du Gouvernement avec les organisations des secteurs “ubérisés” de la société, parfois regroupés en associations, et les partenaires sociaux, semblent écarter la création d’un troisième statut ou la mutation en salariat obligatoire.


Les travailleurs des plateformes numériques seraient attachés à leur indépendance, tout en réclamant de bénéficier de droits, de dialogue social, de protection sociale et – point crucial – d’augmentation de salaire et du prix des courses.


Alors que des jurisprudences commencent à faire reconnaître des requalifications en salariat, ou que certaines centrales mettent en avant un éventuel système de portage, la CFTC constate que rien n’est encore évoqué concernant la participation des plateformes pour participer au financement de ces nouveaux droits. Difficile d’imaginer que ces droits restent à la seule charge des travailleurs. À suivre.